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La Mafia sicilienne avait un code d’honneur, des règles, une hiérarchie, des interdits, un folklore, une image et des films pour lui tricoter une forme de romantisme… rien de tout ça avec la Camorra, qui a investi Naples et ses alentours : imposant une forme de terreur qu’on ne sait par quel bout prendre tant la bête n’a plus rien d’humain, monstrueuse expression dégénérescente d’une économie mondialisée dont elle pousse les mécanismes au bout de leur folie destructrice. Son seul but, son seul credo est de maximiser les profits, sans loi et sans morale d’aucune sorte, utilisant des bandes de décervelés qui n’ont pas trois sous de jugeote ni d’ambition autre que l’excitation immédiate de la violence gratuite, le profit vite dilapidé, l’illusion de puissance que donne le maniement d’armes issues d’un trafic juteux.

Le film remarquable de Matteo Garrone, fort justement récompensé au Festival de Cannes par le Grand Prix du Jury (deuxième plus haute récompense, juste après la Palme d’Or décernée comme chacun sait à Entre les murs de Laurent Cantet), est tiré du bouquin du même titre, tout aussi important, écrit par un jeune journaliste qui n’a même pas la trentaine, Roberto Saviano, né à Naples dans les quartiers pauvres dont il connaît la géographie par cœur : il a vécu les chantiers épuisants, les débarquements nocturnes de marchandises illicites et vit à ce jour sous protection policière parce qu’au fond, la Camorra ne supporte pas l’image que lui renvoie son bouquin qui se dévore comme un polar (deux millions d’exemplaires vendus à ce jour), réaliste et impitoyable, impitoyable parce que réaliste.
Matteo Garrone a choisi de ne pas en rajouter dans la violence et le spectaculaire : la réalité se suffit à elle-même et on est plus près ici du grand Francesco Rosi et de son Main basse sur la ville que des productions hollywoodiennes. Le film tire une force incroyable de cette rigueur dans le récit autant que dans la mise en scène, et agit comme une métaphore de l’état actuel du monde, laissant entrevoir un emballement qu’aucune pensée raisonnable ne guide plus, comme un canard qui continuerait à courir après avoir perdu sa tête. Une course pour le profit, ostentatoire et décomplexée, qui n’existe que pour le court terme et où chacun de ceux qui y prennent place n’imagine même pas qu’il pourrait s’arrêter de courir.

Cela peut dérouter au début du film, mais c’est la réalité qui veut ça : on suit plusieurs personnages et chacun vient rajouter son histoire au puzzle d’un univers cauchemardesque qui file le frisson. La raison n’a plus de prise et il ne reste plus qu’à espérer qu’une pluie de feu vienne comme dans la Bible mettre un terme aux ravages continus et croissants d’abrutis décérébrés. Sinon… quoi d’autre ? Le sommet du G8 ? Une bulle du Pape ?…
Ce n’est pas dans le film, mais c’est bon d’avoir ça en tête : la Camorra brasse 150 milliards d’euros par an, a fait 100 000 morts en 30 ans, elle investit un peu partout en Europe et en Espagne en particulier, le milieu Corse est actuellement décimé (toutes bandes confondues), on se demande bien par qui… Elle est devenue très experte dans l’art de récupérer des subventions européennes, le trafic de drogue lui rapporterait actuellement plus de 500 000 dollars par jour et, last but not least, la Camorra s’intéresse de près au traitement des déchets et gère une palanquée de décharges… responsables de la pollution toxique de la Mozarella, illustration parfaite de la capacité d’auto-destruction dont ces types-là sont capables. D’ailleurs, on ne va pas tarder à vous programmer, très complémentairement, un documentaire, Biutiful cauntri qui vient parfaitement prolonger ce formidable Gomorra, et où l’on voit les effets de l’herbe polluée sur la vie des brebis qui pâturent aux alentours de Naples…

gomorra le film